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Aurora Jenyris
  • Sirène

  • 25 ans

  • Katie McGrath

  • Bisexuelle 

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Quand j’étais jeune, on me répétait souvent que l’océan était notre gardien, le protecteur de nos âmes et le garant de notre survie. En dehors ? Il n’y avait rien à voir, rien qui ne valait la peine de s’y aventurer et risquer sa vie car c’est l’enfer qui nous attendait là-bas. De la même manière que les enfants grandissaient avec la peur du monstre caché sous leur lit, j’ai donc grandi avec la peur de la surface et des terres peuplées d’un tout autre genre de monstres. Les récits ne manquaient pas dans la bouche d’anciens, marqués à jamais par leur passé.

 

Seulement avec l’âge, cet inconnu effrayant et dangereux qui me terrorisait étant enfant, n’éveillait plus chez moi qu’une curiosité tentatrice et mystérieuse. Ils n’ont jamais cessé de nous mettre en garde, Histoire à l’appui, mais les jeunes se fichent bien des interdits, ils se croient invincibles et inatteignables jusqu’à ce que leur erreur leur éclate en pleine figure. J’étais intrépide, fugueuse, irréfléchie et il ne nous aura pas fallu longtemps, à mes sœurs et moi, pour aller flirter avec les limites. Si l’innocente curiosité nous avait poussé à explorer la première fois, c’est bien une sournoise envie qui nous avait poussé à recommencer, allant toujours plus loin, sans jamais se soucier du danger. J’ai parfois pensé que les avertissements, les descriptions et autres contes que mon peuple racontait aux enfants étaient exagérés pour être ainsi plus dissuasives. J’ai bêtement cru que toute une espèce ne pouvait pas être aussi mauvaise et destructrice mais je me trompais. 

 

Un matin, je me suis aventurée près des terres, à l’embouchure d’un fleuve qui se jetai dans la mer. Jusque-là, je n’avais encore jamais nagé dans des eaux douces, ni même gouté aux poissons qui les peuplaient, et devant la tentation de la découverte, j’ai naïvement cédé. C’est avec légèreté que je me répétais quel mal y avait-il à remonter ce cours d’eau et revenir après tout ? Mes sœurs n’ont pas voulu me suivre, conscientes que malgré nos escapades interdites, la prise de risque avait malgré tout ses propres limites. J’aurais dû écouter, mais j’étais trop jeune et idiote pour m’en soucier alors j’y suis allée, excitation au ventre et étoiles dans les yeux, fonçant droit vers l’inconnu sans même hésiter ou me retourner.

 

Je rêvais déjà de découvrir chaque lac et chaque rivière des environs, mais dans la réalité je ne suis pas allée bien loin. Alors que je sillonnais un chemin plus étroit et lugubre, un monstre d’acier s’est dressé devant mes yeux, me barrant soudainement le passage, telle deux portes se refermant sur le chemin du Paradis. Des portes qui n’étaient autre que des écluses qui divisaient le fleuve en sas pour palier à la marée montante. Surprise et intriguée, je n’ai pas réagi suffisamment vite pour avoir le temps de m’enfuir avant que ces dernières ne se ferment et c’est avec terreur que j’ai réalisé que j’étais prise au piège entre quatre murs, incapable de retrouver mon chemin vers la mer. J’ai appelé les miens comme une enfant sotte et apeurée appellerait sa mère, mais mes cris de désespoir furent vains.

 

Dans cette eau peu profonde, j’ai fini par être découverte par les habitants du village vivant près du fleuve. Un enchaînement d’erreurs et de négligence qui me valut d’être capturée et ramenée sur terre, telle un trophée de pécheur brandit aux yeux de tous. Je découvrais ces gens de la même manière qu’ils me découvraient, dans l’hostilité et la crainte. Pour certains j’étais un objet de curiosité, mais pour le reste, je ne semblais inspirer que du dégoût. Les premières voix fusaient déjà, sommant de m’abattre, de me brûler ou de me découper. Les plus véreux évaluaient ma valeur, morte ou vive, et celle de ma chair. Dans tout ce chaos, pas une seule ne s’est élevée pour ma liberté et alors que je me croyais déjà condamnée, c’est finalement un homme qui m’a achetée à ces villageois. Troquant ainsi la mort pour la captivité, il m’a emmenée avec lui, fier de sa nouvelle propriété, rejoindre l’antre de ses nombreuses acquisitions de valeurs.

 

Xander ne manquait pas de relations et jouissais de nombreux privilèges du fait de son activité peu commune. Il était connu comme le collectionneur, toujours à la recherche des créatures les plus rares pour ensuite les exposer au public. Plus elles avaient de la valeur et plus elles lui rapportaient de l’argent. Malgré la haine que les gens de son espèce nourrissaient pour les monstres que nous étions, il demeurait toujours au fond d’eux une curiosité malsaine qui les poussait à venir nous voir, et Xander avait su en tirer profit.

 

Exposée dans ma cage de verre, j’ai donc rejoint sa collection. Chaque soir, les regards fouineurs se bousculaient dans l’ombre pour satisfaire leur avidité toujours plus grandissante. Ornée d’un collier ensorcelé pour entraver mon chant, j’étais contrainte de parader dans ce bassin, suffisamment grand pour que je bouge et qu’ils me voient à l’œuvre lors de leurs tours barbares, mais si minuscule au regard de l’océan. Si à mon arrivée la fuite et la rébellion venaient me murmurer de douces paroles, je les ai rapidement fait taire après avoir gouté aux représailles. Coopération et résignation, c’était tout ce qu’il me restait. Grâce à ça, j’ai tout de même gagné un semblant de liberté, me permettant ainsi de quitter mon bassin et de marcher comme l’une des leurs. Xander savait que je ne pourrais jamais aller bien loin si je voulais rester en vie. J’étais inévitablement liée à ce bassin, puisque trop loin de la mer pour pouvoir la rejoindre.

 

Aujourd’hui, peu de choses ont changé. Les gens se pressent toujours à l’entrée, avec le même regard qu’à l’accoutumée, prêt à y laisser leur argent. Au-delà du spectacle, les plus riches viennent chercher un tout autre genre de prestations et les plus érudits récolter des prélèvements. Tout est une question de prix et ici, tout est à vendre. Et même si faire partie de la collection de Xander nous protège de ceux qui nous chassent là-dehors, il y a toujours cette crainte qu’un jour tout s’arrête et qu’ils viennent tous nous abattre car après tout, que se passera-t-il quand les hommes en auront assez des pantins qui dansent ?

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